Fifine

Petit exercice de géométrie :
— tracer un segment [AB] de 5 centimètres et noter O le milieu du segment [AB]
— tracer un cercle de centre O et de rayon [OB] (ou [OA], c’est pareil)
— divisez le cercle en 8 parts égales. Chaque demi-droite, sécante au cercle, dépassera vachement
Félicitations, vous avez la circonférence de Fifine, de ses huit énormes pattes accrochées à son abdomen velu et de ses quatre paires d’yeux qui se sont fichés vendredi soir sur mon mur blanc, tels une grosse tâche.

Devant la taille assez monstrueuse de cette araignée qui s’était très certainement égarée entre mes bûches, j’ai laissé échappé un «Oh ! Mon Dieu !» qui a fait interpellé mes enfants. Et tandis que mon fils hurle et se réfugie dans le couloir (il faut dire que ce n’est pas une petite bestiole), ma fille déclare d’un calme olympien « Tiens, Fifine ! Elle était tout à l’heure près du frigo.»
Près du frigo ? Tu veux dire le frigo de la cuisine dans lequel j’ai attrapé les ingrédients pour préparer à manger ? Et c’est maintenant que tu le dis ?

Ce n’est pas vraiment que j’ai peur des araignées, la plupart ne m’impressionnent pas, mais la plupart n’ont pas la taille d’un buffle pendu au plafond et disparaissent facilement sous une chaussure. Dans ce cas précis, trois paires d’escarpins n’y suffiront pas, ni même la bombe insecticide qui va la faire courir partout et éventuellement se réfugier sous le canapé. C’est donc ma fille qui va s’en charger, elle qui aime les animaux, et les rendre à la Nature en un seul morceau.
C’est ça ou l’aspirateur qui tourne à fond pendant cinq minutes.
Tiens ma chérie, prends donc un verre (un grand) et un papier. Voici un tabouret pour pouvoir l’atteindre. Fais-là sortir s’il te plaît. Et n’oublie pas qui te nourris et t’aime très fort.

Consciencieusement, elle s’exécute, pas très rassurée, mais quand même, et je supervise (oui comme ça le papier, fais-le glisser sous le verre, très bien). Enthousiaste à l’idée d’aider, mon fils se précipite vers la porte, l’ouvre et s’éloigne à grand pas.
Au moment de laisser Fifine voler de ses propres ailes, ma fille réfléchit à la meilleure façon de procéder, et lâche le verre aussi loin que possible qui dans un vol plané silencieux, s’écrase lourdement dans la terre du jardin, manquant d’écraser le monstre qu’elle a délicatement décroché du mur et sauvé de l’aspirateur.

Elle me pousse alors courageusement du coude «Vas-y maman, va chercher le verre», tandis que son frère, mort de rire, s’approche doucement pour savoir si l’araignée est toujours en vie, et court chercher les lampes torches pour s’en assurer.

Sauvetage de Fifine, trois secondes. Récupération du verre, après vérification minutieuse que tout danger à huit pattes est écarté : 5 minutes.

Et bravo à ma fille qui a fini par le prendre du bout des doigt avant de le jeter dans l’évier.

Fifine, crayon et feutre

Jujitsu

Bon. Je suis en pleine période de changement, et pour… – comment dit-on déjà ? –, «sortir de ma zone de confort», je me suis dit que j’allais tenter les arts martiaux. Au cas où quelqu’un s’en prendrait à moi… ou à mes enfants, on sait jamais ce que la vie nous réserve.

Jeudi, à l’heure dite (20h30 c’est tard quand on bosse en fait), je suis donc devant la salle de sport. Et visiblement, j’avais oublié l’odeur d’une salle de sport. Entre mélange de transpiration et macération de pieds dans chaussures pas fraîches. Ça me rappelle le gymnase du lycée. Je rencontre le prof, super gentil, et lui explique que je suis débutante de chez débutante. Genre y a pas plus débutante que moi, dans la mesure où je ne sais pas en quoi consiste le jujitsu. Je suis un peu en mode «ben j’ai vu de la lumière et je suis entrée». Le prof m’explique donc que le jujitsu (Jujutsu ? Jujiutsu ? il y a apparemment 15000 manières d’écrire ce mot) est un mélange de Karaté, judo et… je sais plus. Mais c’est japonais, ça c’est sûr. Et quand il sait que je suis danseuse (oui parce qu’à l’origine, je suis danseuse), il me dit «bon c’est bien, parce qu’on a besoin de souplesse».

Ok. Donc, c’est bien parti. Ça devrait me plaire, a priori, et être bien énergique.
Quand on commence l’échauffement, effectivement, ça déboite rapidement. Le petit trot sur tatamis, ok, je gère. Pas chassé, pas chassé, à gauche, à droite, coude-genoux et talons-fesses. Pour l’instant ça va. J’évite de dire, quand on me demande de sauter jambes écartées-jambes serrées, (pour les danseurs, c’est l’équivalent seconde-première), que j’ai un périnée qui déboîte aussi depuis la naissance de mes enfants. Mais passons les détails. Ok, je gère.

Deuxième partie de l’échauffement : d’un bout à l’autre du dojo – et comme je ne me souviens plus du nom des mouvements, simplifions – jeté de bras, jeté de bras (pour les danseurs, bras en quatrième position, mais genre énervé), puis jeté de jambes, jeté de jambes (pour les danseurs, grand battement développé devant, et en dedans, mais genre tu tapes). Ok, je gère… mais quand même je suis essoufflée un peu.

Troisième partie de l’échauffement : des pompes sur les genoux, debout, coup de pied. Sur toute la longueur du dojo. Aller-retour. Il est grand le dojo. Et comme je sais faire des pompes, ben je fais des pompes sur les pointes de pied. Des vraies pompes quoi. Puis des abdos suivis d’une roulade pour avancer sur le dojo. Aller-retour. Il est grand le dojo.
Ok…
Je gère… ?

Une fois l’échauffement terminé, on passe aux mouvements. Je regarde un peu les autres élèves. Deux femmes, un homme. Tous en kimono avec une jolie ceinture de niveau… et moi, en survêt. On fait des groupes et on apprend un enchaînement de mouvement. Avec des noms que je me souviens plus comment ça s’appelle.
Et là, premier problème. En fait, il faut taper l’adversaire.
Non. Il faut taper l’adversaire, mais comme on est en cours, il faut réussir à maîtriser le mouvement qui doit faire mal sans faire mal. Taper sans taper quoi. Je vais donc passer l’heure suivante à m’excuser et à avoir peur de mettre réellement au tapis mon adversaire. Parce qu’en plus, quand j’envoie ma jambe, ben visiblement, je l’envoie. J’ai donc droit à «ouh, attention, tu me fais mal» Pardon, pardon, je ne voulais pas être aussi violente.


Prise suivante, mettre l’ennemi au tapis en lui tordant le bras. Mais pas trop fort.
Enfin, un peu fort quand même, «parce que là, tu ne me fais pas mal» : ben oui, j’essaie justement de ne pas te faire mal.
C’est pas du tout schizophrène ce truc : apprendre à attaquer, mais sans faire mal pendant l’entraînement. Bon…

Je demande naïvement au prof pourquoi on apprend les mouvements que d’un côté. Avis aux danseurs : généralement quand tu apprends une choré, tu l’apprends des deux côtés. D’abord droite, puis gauche. Mais là, on apprend juste à droite.
« Oui parce qu’en fait, il y a tellement de trucs à retenir que d’abord on maîtrise à droite.»
En gros, si jamais on t’attaque, faut que ce soit à droite, parce que sinon tu sais pas te défendre. Je me vois bien dire à n’importe qui, en situation « oui, non, mais alors en fait, j’ai appris à droite, tu veux pas refaire ton tsukkake (coup de poing direct) du bon côté s’teuplaît ?»
En plus comme je suis gauchère, ben moi la droite, la gauche… selon comment on est tourné, ça change tout (10 points pour ceux qui trouvent la référence).

Bref, on apprend un premier, puis un deuxième, puis un troisième mouvement. Très rapidement, ma partenaire a peur pour moi, parce que je ne sais pas tomber. Ça m’étonne. Les chutes, je connais. savoir tomber, c’est un truc qu’on apprend en danse. Et quand je lui dis que ça va, je ne me fais pas mal quand je tombe, parce que j’ai appris à tomber en 25 ans de danse, elle me répond « oui, mais c’est pas de la danse». Certes, mais c’est une chute.
Je vais passer l’heure à tomber en déroulant toutes les vertèbres de ma colonne pour rassurer la partenaire en question, qui est persuadée que je vais me faire mal, parce que «je suis raide». Ce qui est, ni plus ni moins que la pire insulte pour une danseuse.
Ben non, je suis pas raide, fin je comprends pas, en fait.
Et quand je fais tomber mon adversaire, forcément, je n’ai pas les bons mouvements non plus, parce que je termine en grand écart, avec mon adversaire au sol, dont j’accompagne la chute le plus doucement possible.

Et tout à coup, le prof se ramène devant les «elle sait pas tomber». Il comprend que non je ne me fais pas mal en tombant sur le tapis. Il comprend aussi que je tombe… j’vous le donne en mille… comme une danseuse.
Alors : en fait, une danseuse, quand ça tombe, c’est généralement volontaire, et ça fait pas de bruit (d’où le déroulé de vertèbres intensif, et je peux vous assurer que pour quelqu’un d’hyperlaxe, avec le dos cambré à mort, c’est pas évident de montrer que sisisisisi, on déroule les vertèbre du coccyx jusqu’à la nuque). Une danseuse, c’est gracieux, même quand ça se pète la gueule. C’est la base. Du coup, quand je tombe, je déroule mon dos, tends la jambe, je fais un joli pied pointé, tout ça sans bruit.
Au Jujitsu, quand tu tombes, il faut crier, taper le tatamis de tes deux mains à plat, et aussi avec la plante des pieds.
Il faudrait donc que je tombe à grands renforts de «AAAAAAH !» et de «OOOOOOH!» juste pour bien faire comprendre que je tombe. Et comme je tombe telle une fleur sur un étang tranquille, ben je suis raide.

Je me sens donc comme une baleine dans un aquarium. Pas du tout à ma place.
Et comme à chaque fois que je ne me sens pas à ma place, je fais des blagues débiles du style : «en plein combat, quand tu ne te souviens pas des mouvements, tu crois que tu as le temps d’aller regarder sur Wikipédia ?»
A la toute fin, on regarde les deux élèves les plus expérimentés faire un enchaînement compliqué. Avec des jambes en l’air et tout. (ouais, super, en fait je veux faire ça, parce que ça a l’air super fun !!!! et un peu sexuel aussi). Le prof gueule des noms incongrus qui visiblement veulent dire quelque chose aux deux autres, qui cherchent un peu, mais enchaînent des prises. Puis, l’un d’eux prend un poignard en bois, et là pour le coup, je me crispe. Puis, il prend un bâton. Puis il prend une arme à feu factice et là, oui je suis raide de chez raide. Pas du tout bien. Un peu blanche avec une envie de fuir, mais la politesse m’en empêche.

Lorsque nous saluons, le prof me dit que je suis la bienvenue, et comme je suis gracieuse, mais plutôt grande gueule et sans filtre, je dis d’une traite, en parlant très très vite «Oui-alors-je-suis-pas-sûre-parce-que-je-suis-vraiment-non-violente-et-du-coup-quand-vous-sortez-un-pistolet-je-suis-vraiment-mal-à-l’aise-et-du-coup-va-falloir-que-je-réfléchisse-un-peu-voir-si-je-reviens-et-j’étais-pas-débile-je-savais-que-ça-serait-pas-de-tout-repos-mais-là-quand-même-y-a-des-attaques-et-des-armes.» Tout ça sans respirer.
Avant de saluer, j’ai donc expliqué aux autres qu’ils étaient violents et pas moi. Qu’ils se battaient et pas moi. Je me suis fait des amis quoi !

Bilan : des courbatures. Des putains de courbatures un peu partout dans le corps. Et ça, c’était cool. Mais va falloir que je trouve peut-être plus gracieux.

Entretien d’embauche

Tout commence par la penderie. Il faut trouver l’accoutrement adéquat qui permette de montrer ton sérieux et tes intentions sans trop te dévoiler non plus. Robe ou pantalon ? Chaussures plates ou talons ? Et le maquillage ? Et le parfum ? Je reste plantée là quelques minutes, à me demander ce que je vais mettre.
Robe, bien évidemment — en même temps je dois avoir deux pantalons dans mon armoire — et talons, plusieurs paires au choix et pas de chaussures plates (enfin si, des sneakers à fleurs. On va éviter). Tout de même : ose-je la jupe noire en tulle à volants et les escarpin rouges ou reste-je classique ?
Restons sage et classique. Je veux faire bonne impression et non effrayer de mon extravagance. Restons simple et élégante. Pas trop maquillée, pas trop voyante.

Ça, c’est la théorie. En pratique, j’ai les mains moites, je tremble, et j’arrive sur le lieu du rendez-vous avec une bonne demi-heure d’avance.
Au téléphone, il me demande si je suis plutôt bar à vin ou bar à bières. Oh, tout terrain que je réponds ! Et paf, grillée. Il m’aura fallu trois minutes. Comme en plus, lorsqu’il se pointe, je ne le reconnais pas tout de suite, repaf, regrillée. Ça commence bien. Mais je reste tout sourire, je garde mon calme, nous nous installons et commençons à parler.

Enfin il parle boulot, et je l’écoute en sirotant mon verre de blanc.
Une première réflexion sur l’habit qui fait le moine en évoquant sa RH qui lui a envoyé une taille mannequin incompétente et un peu pétasse avec sa jupe courte. Lui, il se fout de la beauté, il veut de l’efficacité. Au temps pour ma judicieuse idée d’avoir laissé mes talons rouges au placard.

Puis il me demande ce que je fais de mon temps libre. Je brode, je tricote, je couds, je peins, je dessine. Accessoirement je tiens un blog aussi, sur lequel je vais probablement raconter cette entrevue.

Deuxième verre, je commence à me détendre. J’ai toujours les mains moites et le cœur qui bat, mais je souris, je n’oublie pas de sourire, ni de rire. Un peu fort peut-être. Je sens bien que les barrières tombent et que je quitte doucement la pelisse policée dont je m’étais enveloppée pour paraître à mon avantage. Mais je dois rester calme et élégante.

Pourtant plus il parle et plus je ris. Quand je l’embrasse, il répond plutôt bien. Quand je lui prends la main, il me laisse faire. Mais je vois poindre le petit rire nerveux qui me suggère que je viens de passer une limite de l’acceptable. Mon attitude est un brin provocante pour lui. Heureusement que je n’ai pas sorti les talons rouges.

« Mais tu ne manges pas ? me dit-il Anorexique en plus d’être alcoolique ?»
Alccolique ? Comment ça alcoolique ? «J’ai vu la vitesse à laquelle tu sifflais ton verre de vin»
Oui, alors mon chou, c’est hâtif comme jugement. Tu parles beaucoup, j’écoute beaucoup, on est vendredi soir, t’es mon premier rendez-vous depuis des mois et j’ai de bonnes raisons d’être stressée. Mais traite-moi d’alcoolique j’te dirai rien.
D’ailleurs c’est vrai, je n’ai rien dit, j’ai souri poliment.
Quant à ce que je mange, c’est pas non plus du trois étoiles, c’est de la charcuterie Aldi et du fromage bon marché posé sur un bout de bois. On va pas se pâmer le gosier.
En revanche, le vin est bon et puis Fuque. Est-ce que je juge tes trois bières brassées locales «Indian pale ale » pendant que tu me donnes un cours sur le scandale des bières belges ?

Et là, il sort sa botte ultime. Celle de tout homme intimidé devant une femme qui se montre entreprenante, en pleine capacité de sa raison et de ses envies : il m’explique que la vie est dure. Pour lui. Avec – et c’est une première pour le coup – un nombre assez incalculable d’étiquettes psychologiques.
«Je passe une soirée agréable, les discussions sont variées, mais ne t’attends pas à une demande en mariage dans deux mois.»
Chéri, je te connais depuis trois heures, et tu m’a cataloguée deux fois. Attendons un peu avant d’annoncer nos fiançailles. Et tiens, je vais rentrer seule surtout.
Je crois qu’à partir de ce moment-là, j’aurais bien aimé l’achever avec mes talons rouges. Bien pointus qu’ils sont. Et bien voyants aussi.

J’adore. J’adore comme certains arrivent avec l’idée de porter le poids du monde sur leurs épaules et l’excuse passe-partout du «j’ai tellement souffert…»
Mon adolescente de fille me sort ça aussi, le fameux : «tu connais pas ma vie ok ?» proféré avec les yeux humides et le défi dans la voix.
C’est un monopole apparemment, la souffrance dans une relation. A part une poignée d’élus qui savent, éclairés qu’ils sont, les autres, dans leur ignorance, ne peuvent pas comprendre le poids de l’engagement et des émotions.

Donc, cher premier rencard depuis des mois. Merci à toi, j’ai passé une super soirée. Sur le coup, je me suis sentie très ridicule et trop voyante, très stressée et avec une énorme envie de plaire. Et puis, à peine nous sommes-nous dits au revoir que je me suis dit que j’avais juste passé un bon moment. Ton jugement un peu insultant ne m’a pas fait bien mal, et si j’ai foiré ce premier entretien, je m’en remettrai vite.
Leçon apprise. Je n’ai pas besoin de plaire – quand j’essaie de me conformer aux usages en vigueur, je fais n’importe quoi – j’ai juste besoin d’être moi. Et si tu n’aimes pas, et bien tant pis. Bisous.

doodle mood

Fleurs : stylo sur carnet
paysage : crayon et charbon

Activités du dimanche. plusieurs heures pour le premier. Quelques coups de crayons pour le deuxième.

Silence

Je ne sais plus à quand remonte la dernière fois
Que j’ai écrit ou même pensé
Peut-être était-ce cette fois-là,
Cette fois où comme aujourd’hui, le vide s’est installé.
Bête vibrante et hurlante qui te déchire les entrailles au plus profond du silence
Que tu as voulu m’imposer.

Tu as gagné.
Il est là le silence. Car jamais
je ne pourrai dire, jamais je n’aurais pensé devoir un jour te haïr par devoir et par loyauté.

Tout était simple et tout prenait sens,
Dans ma vie enfin un but de bonheur inaccessible.
Aucun mot ni aucun son, non. On ne pense pas le bonheur, on le vit.
On le ressent comme une bulle, on espère longtemps y rester
Protégé du reste, de la vie, des émules et le corps y est bien.
Dans sa bulle il prend toute sa place et remplit l’espace.

Pas besoin de dire, pas besoin de mot, une simple idée de sourire qui ne finit pas
Mais voilà le silence.
Celui que je veux crever.

Sans pouvoir, impossible. Qui comprendra maintenant ?
Ce silence incapable de remplir ton absence.
Ni tes faits, ni tes actes ni tes paroles absurdes, ni tes suppliques qui résonnent encore à mes oreilles sanglantes. Ne parle pas, ne parle pas. Comme j’aurais voulu me taire.

Et comme je ne pouvais pas.

Le silence c’est le tien, c’est le mien maintenant. C’est ce que nous partageons encore sans que je le veuille
C’est celui de la honte et celui du devoir, celui de la haine que je ne ressens pas.
Celui de l’absurde incompréhension. Comme une surprise qui explose en plein vol et se pose. Le comment impossible à résoudre. Equation euclidienne mathématique insoluble.

C’est le vide absolu.
Plus de mots, plus de dire. Plus que ça qui prend toute la place.
C’est l’envie de hurler et le fait de se taire, de se perdre en conjectures hypothétiques irrecevables et sur toi sur tes faits sur tes gestes et ta bulle.
De savoir si tu vas ? Mais je n’ai pas le droit.
Et j’en crève pourtant et j’aimerais te dire…


Et ta vie et la mienne en un coup balayées
Et je ne te hais pas, non. Je n’y arrive pas.
Ni même en colère.
C’est le vide absolu et il engloutit tout. Il a tout engloutit à cet instant précis de mon bonheur fragile que je croyais pérenne.

A la place un trou et tout autour

Le silence


Mollesse

Ah ! Les joies de l’après écrit-concours que tu penses avoir réussi la dissert (sur Proust en plus!) et qu’en relisant un peu ton cours tu doutes, tu te dis que tu es passée peut-être à côté…
Sujet intéressant, mais auteur craint. Vous avez lu Proust ? Vous savez, les phrases à rallonge qui n’en finissent pas. Et voilà-t-y pas que, puisqu’en plus c’était le centenaire de sa mort le 22 novembre dernier, ils se sont dit en haut lieu qu’ils allaient nous sortir du chapeau une dissert sur l’auteur le plus difficile à comprendre du programme. Bon, je l’avais bossé, mais comme beaucoup de profs étaient persuadés qu’il ne pouvait pas tomber à l’écrit (et catégoriques ils étaient !), cela faisait trois semaines que je n’avais pas retrouvé le temps pour finir de le travailler.
Mais voilà, Proust. Et sur le coup, j’ai non seulement aimé le sujet (citation à rallonge que tu comprends au bout de 15 lectures bien sûr), mais j’ai en plus réussi à noircir 13 pages, pas trop mécontente ni de mon plan, ni de mon propos. Le problème, c’est après…

Oui, parce qu’après, tu vas relire forcément les auteurs, déjà parce qu’il y a l’oral et que ce n’est donc pas fini, ensuite parce que par sado-masochisme, tu vas t’assurer que tu as bien tout fait comme il faut. Et là… le sujet parlait de déconvenue, il ne mentionnait pas celle de l’agrégatif qui rentre chez lui et qui se dit que peut-être il a tout faux.
Car l’agrégatif, bête curieuse qui a mis sa vie entre parenthèse depuis plusieurs mois pour passer de foutues épreuves qui le font c…, juste pour le plaisir de souffrir, passe par une phase de doute après la joie de la réussite supposée, puis par l’abattement inévitable de celui qui est persuadé d’avoir raté. Sauf que l’agrégatif doit, avec cette déconvenue qui tourne au désespoir et le moral dans les chaussettes, continuer à préparer les oraux en attendant d’avoir les résultats de l’écrit qui lui diront si oui ou non il aura droit de venir souffrir un peu plus à Paris, dans le prestigieux lycée Henri IV.

Vous l’aurez compris, je ne peux en aucun cas relâcher mes efforts, mais si je prends le temps de griffouiller ici, c’est gentiment parce que j’ai plus le moral de continuer. Et je le sais.
J’ai donc passé la semaine, et surtout aujourd’hui, à tenter de bosser sur deux auteurs que je déteste (oui, parce que Proust, contre toute attente, je l’aime bien au final. Il est taré, mais sympathique) : Rousseau, et l’illustre Eustache Deschamps qui a visiblement marqué l’horizon lointain de la poésie dans le non moins lointain XIV° siècle.

Et me voilà, à rêver d’ailleurs, de sortie. Oh comme je voudrais sortir et lâcher ces putains de bouquins qui commencent à me prendre la tête ! Je voudrais, coudre, et tricoter, et courir nue dans les champs… sauf que l’herbe ça pique et qu’il me faut me concentrer. Je me console en me disant qu’à défaut de courir, je peux rester nue, mais même pas parce que ça caille et que la petite laine est la bienvenue.

J’ai donc un peu traîné, cette semaine, dans une mollesse de paresseuse alanguie, cette mollesse désagréable du corps qui ne sait pas ce qu’il pourrait faire de son temps et qui procrastine sur ce qu’il doit faire. J’ai mis cela, les premiers jours, sur le compte de la fatigue accumulée : dormir rien que dormir, voilà à quoi j’ai occupé les trois jours d’après concours. Et puis j’ai mis ça sur le compte de la décompression : sortir et profiter (sauf que de la décompression, je n’ai gardé que la fin). Et puis j’ai mis ça sur le compte des cours : copies à corriger, laissées de côté depuis un moment et qui m’attendaient sagement rangées (comprenez en vrac dans mon casier). Et là, aujourd’hui, je suis à court d’excuse. J’atteins le point où je n’ai plus envie de bosser, parce que je sais déjà que je n’irai pas à l’oral.

Oui mais si par chance j’y allais ? Ben du coup faut bosser. Mes pelotes de laine me font de l’œil, j’vous jure. On dirait un gâteau au chocolat triple nappage chantilly. Chacun sa came, j’aime pas le sucre, mais j’aime occuper mes mains… avec de la laine et des aiguilles j’entends !

J’attends avec impatience les résultats. Pas pour savoir si je suis admissible, non. Juste pour reprendre ma vie d’avant. Celle où, de temps en temps, je m’octroyais des moments bienheureux à ne pas bosser. Celle où les choses avaient encore un goût et un sens, sans une pression permanente qui titille l’arrière du cerveau et qui te dit «Putain tu vas retourner bosser oui ! » et qui minute chacune de tes pauses comme autant de précieux sésames que tu n’as pas mérités. Celle où, si j’avais envie de m’effondrer comme une énorme loque sur mon canapé à regarder la dernière série débile sortie sur Netflix, je le faisais sans honte.

Je vous préviens, dans deux mois max, je lâche les vannes !
Et je dors aussi, d’abord.

Aujourd’hui

Huhuhu, je n’ai tellement pas écrit depuis un moment que mon ordi a perdu ma connexion automatique au blog. Faut dire, j’ai regardé, mon dernier post remonte aux calendes grecques.

Mais pourquoi ce silence ? Me demanderez-vous, oui vous qui avez faim, soif d’un nouveau post et de nouvelles histoires ? Et bien parce le concours est à ce point chronophage que je trouve à peine le temps de dormir. Manger, j’ai oublié ce que ça voulait dire. Je me marrai, dans un passé lointain, des gens me traitant de folle en voulant passer l’agreg. Et bien vous savez quoi ? Ils avaient raison, et j’ai eu ces derniers mois, des moments de doute qui ont failli me faire tout arrêter, juste pour pouvoir dormir.
Mais la détermination et les encouragements de mes proches ( «Ah non ! Je te préviens ! Tu m’as pas pourri un an avec cette idée pour abandonner trois semaines avant la ligne d’arrivée !»), ont eu raison de mon désespoir, et j’y suis allée.

Des semaines donc, des mois, à réviser inlassablement les cours, les citations, trier les exemples, tenter de retenir le maximum, à osciller entre excitation de la connaissance (oui la connaissance j’adore !) et abattement profond de la nullitude avérée de mes capacité mémorielles et cérébrales. Le premier cours de l’année, on m’a sorti le mot hyperbate (?), et j’ai passé la totalité de mes cours avec mon téléphone connecté sur les définitions de mots tous plus farfelus les uns que les autres… et lorsque les profs te sortent «Mais c’est évident que cette proposition subordonnée relative à valeur périphrastique elle est non scalaire !» ou «Bien entendu, vous connaissez tous l’importance du travail de Jean Nédanleciboulot sur la dimension propédeutique du langage, hoche la tête, fais comme si tu avais compris, et utilise google translate.
Des mois… pour me retrouver là, ce matin, à me demander si je vais réussir, ne serait-ce qu’à composer un peu : l’angoisse de la page blanche et des connaissances qui foutent le camp.

Bref, ce matin, je me pointe donc à la première épreuve bien schyzophrénique où tu es sensée comprendre pourquoi on a foutu un corpus de textes, a priori disparates, ensemble, les expliquer et construire un cours pour une classe hypothétique d’élèves surdoués tellement ton programme il est lourd. Oui parce que le but n’est pas de «faire cours» à des élèves qui existent réellement, mais de montrer l’étendue monstrueuse de tes connaissances. en gros, tu balances la blinde de mots bien pompeux, tu remplaces éloge par encomiastique en sachant que si déjà tu places le mot «éloge» dans un cours de seconde à une classe, ils te demanderont de le définir. Mais passons.
Deuxième difficulté de l’épreuve : ce ne sont pas des textes que tu choisis, mais que l’on a choisi pour toi, dans un but précis que tu dois trouver, analyser et expliquer. A la différence d’un cours que tu construirais de A à Z en ayant complète liberté des textes que tu veux faire étudier et dans quel but. Tu dois donc, en plus de savoir faire un cours, montrer que tu as compris ce qui était passé par la tête du gars qui a regroupé ces textes, en sachant que le petit canaillou a forcément choisi, parmi tous, un texte qui sort un peu des clous, histoire que ce soit pas trop simple quand même hein ! Schyzophrénique et télépathique l’exercice.
Troisième difficulté de l’épreuve : parfois tu n’as aucune idée de qui sont les auteurs. Et là, ne nous méprenons pas, c’est la merdasse. Tu vas au mieux rester devant tes textes trois heures en te demandant comment c’est Dieu possible d’avoir récupéré des écrits aussi anciens que même Mathusalem ne connaît pas, et qui écrivent dans une langue qui est sensée être la tienne, mais qui t’est inconnue. Sauf que là, tu n’as pas google translate à dispo. Tout ça pour les présenter à une classe hypothétique de seconde qui… en situation réelle, se demanderait ce que tu as bien pu fumer pour leur proposer des auteurs pareils dont ils n’ont jamais entendu parler et que tu ne maîtrises pas. Au pire… tu as le droit de te barrer de la salle au bout d’une heure trente
Quatrième difficulté de l’épreuve : le temps. En fait, sept heures, c’est super court quand ton cerveau bout (boue ? Oh faites pas c…, j’ai trop réfléchi !)

Donc, me voilà assise, devant une nana peu commode qui gueule que non, on n’a que deux copies et quatre feuilles de brouillon pour commencer et qu’il faudra en demander au fur et à mesure. On se regarde tous en sachant déjà que c’est insuffisant. La même surveillante m’expliquera plus tard que la gestionnaire n’a pas prévu assez de brouillon et que ce serait bien qu’on se rationne. Oui, parce que j’avais prévu de faire des cocottes en papier si jamais il me restait un peu de temps vers la fin.
Et le sujet tombe. On se lève, le protocole est protocolaire. On ne décachète pas les copies avant l’heure H et on ne s’assoit pas avant que tout le monde ait un sujet. C’est pas le bac, faut pas rigoler… enfin sauf pour le nombre de brouillon.
Et j’ouvre le sujet. Oh bonheur et soulagement ! Je connais les auteurs, et miracle deux textes sur quatre. Je suis à fond. Je vais m’en sortir, peut-être… en tout cas je ne nage pas dans la panade à me demander pourquoi ce n’est pas écrit en français.
A partir de là, c’est la course. Je chronomètre le temps imparti à chaque déroulement. Brouillon, rédaction en deux temps : la première déroule les fils de tout le corpus, la deuxième déroule la séquence. En vrai, jamais je ne ferais ça, mais là, on vous l’a dit, c’est pas réel. Je chronomètre jusqu’à mes pauses pipi (parce que bien entendu, j’ai envie de faire pipi dès les cinq premières minutes). Jusqu’aux instants où je prends ma bouteille d’eau. Et je comprends tout à coup :
Le sujet n’est pas difficile en soi. Les auteurs sont connus, les pièces, tout le monde en a entendu parler, et les extraits encore plus. Oui, même vous, vous avez entendu au moins une fois les titres du Cid et de Don Juan. J’ai un avantage certain, j’ai étudié les pièces, je les connais par cœur. Les deux autres moins, mais là encore, qui ne connaît pas Racine et Diderot ? Du pain béni donc, ces quatre pièces de théâtre dont la lecture est facile. Moins béni la tonne incroyable de choses à dire sur ces quatre textes et le nombre de fils à tirer pour en faire une lecture complète et pertinente. Le temps sera mon ennemi.

Et il court, inlassablement, sur la grosse horloge posée en face de moi, dans la salle immense où tu te gèles les bouts de doigts quand ils éteignent le chauffage et où tu te crois dans un avion dès qu’ils l’allument. Le «woooooooooooo» continuel de la soufflerie m’accompagne toute la journée, il fait trop chaud ou trop froid, mon cerveau est en ébullition, et j’écris. entre soulagement d’écrire et angoisse de ne pas tout dire, ou de trop dire. Les heures passent aussi rapides qu’un rayon de soleil un jour venteux en Alaska. Je place un maximum d’informations, avec pleins de mots tout savants : rhétorique argumentative, discours délibératif et épidictique. Me demandez pas, dans une semaine, j’aurai oublié ce que ça veut dire. Tout y passe dans ma tête.
Et pourtant, et pourtant… Lorsque sonne 13 heures et que je suis toujours sur mon brouillon je comprends douloureusement que je n’aurai pas le temps de finir. Il reste trois heures. Trois heures, c’est assez ! et ben non. C’est trop peu, trop court, trop intense de dire tout ce que j’ai prévu de dire. Mon Dieu c’est tellement plus simple d’écrire comme je le souhaite que sous la contrainte du sujet et de l’heure. Je fume, tout fume autour de moi. Personne ne lève la tête et tu n’entends que le grincement des billes sur le papier à entête. En fait, je suis tellement concentrée que je n’entends rien. Je ne vois rien que mes 15 feuilles de brouillon rose devant moi (souvenez-vous, on a commencé avec 4), que je dois trier, problématiser, analyser et retranscrire sur mes deux copies doubles… Autant dire que deux copies ne seront pas suffisantes. Je le sais, mais le temps file et j’écris autant que possible.

Lorsqu’il me reste trois quart d’heure, j’ai fait la moitié du travail au propre. Je regarde avec déconfiture mes textes décortiqués de fond en comble, mon point de grammaire trouvé dans les détails. Non. Je ne déroulerai pas la séquence pour l’hypothétique classe de seconde.
Ici, le piège est tendu : vais-je bâcler et ne plus rien dire d’intéressant ou vais-je continuer tranquillou bilou comme s’il s’agissait d’une balade de santé. Vous choisissez l’option 2 ? Bonne réponse. Ne surtout pas se laisser prendre par le temps. Faire comme si on avait la vie devant soi. Il vaut mieux une copie inaboutie qu’une copie terminée à tout prix. C’est triste à dire, mais beaucoup seront dans mon cas et ce sont les détails qui feront la différence.

Et puis l’heure sonne. Posez-vos stylos, levez-vous. N’écrivez plus rien. Non, pas même la pagination ou l’entête. Copie non paginée égal copie non récupérée. On ramasse, on nous fait signer, on sort. L’air libre, c’est si bon !
Bilan de la journée : que dire ? Je ne suis pas trop lessivée, ce qui est un bon point parce que je rempile demain… pour 7 heures… encore. J’ai fait mon maximum, et si je n’ai pas fini j’ai des raisons de penser que les neuf pages accouchées ne sont pas non plus d’une médiocrité affligeante. Déçue, oui, forcément de n’avoir pas été au bout, surtout sur des textes que je connaissais par cœur. Mais c’est le jeu.
J’ai un autre jeu pour demain : quitte ou double. Si ça tombe sur l’auteur que je suis sensée connaître et que j’ai à peine lu… on a le droit de quitter la salle après une heure et demi.

Vacances

Oui parce qu’aujourd’hui, on m’a donc plusieurs fois posé la question « As-tu passé de bonnes vacances ? »
Hein ? Vacances ? Quelles vacances ?

Petit retour en arrière : 7 juillet, wouhou, sonne la fin de l’année scolaire. Tout le monde pense à ses mojitos les doigts de pied en éventail au bord de la piscine, mais comme j’ai pas de piscine, ni de menthe, autant bosser.

Me voilà donc, vissée à mon bureau pour les deux prochains mois, une liste de livres à lire qui s’allonge et ma facture chez le libraire pareillement

C’est sympa l’agrégation : tu retombes dans les études et te rends compte que ton cerveau de quasi vieille en a pris un coup et a tout oublié. Vous connaissiez Eustache Deschamps vous ? Ben moi non plus.

Laissez-moi vous en conter davantage sur ce superbe auteur du quinzième siècle qui a écrit environ 15000 poèmes parlant tous à peu près… de religion. J’ai donc appris en peu de temps que l’homme s’accouplait dans le péché du plaisir et qu’il était de ce fait tâché dès la naissance par l’acte sexuel de ses parents : son seul salut étant la foi et une vie exemplaire. Tant pis pour ma place au paradis donc, me voilà damnée pour accouplement.
Mais comme il explique tout cela en moyen françois avec une orthographe qui change environ à chaque mot, on va considérer que je ne suis pas trop concernée pour le salut de mon âme.
Ainsi, je me retrouve à lire le livre avec un dictionnaire et la Bible à mes côtés. Je vais finir dévote… et dépressive parce qu’au final, l’homme est mortel (putain c’te révélation !)

Et ça, c’est un livre sur les cinq au programme. De l’écrit. Parce qu’y en a 5 autres pour l’oral, mais ne mettons pas la charrue avant les chèvres et tentons déjà de boucler le programme bien lourd des épreuves écrites.

J’avais donc, en début de vacances, établi tout mon programme pour avoir le maximum de connaissances possible tant en littérature qu’en grammaire. Programme que, bien entendu, je n’ai pas bouclé.
Mais voyons le côté positif : j’ai passé l’été au frais, à l’ombre de mon bureau, j’ai donc préservé la blancheur naturelle de mon teint qui devient progressivement photosensible : j’attends donc une proposition de Coppola pour son remake de Dracula d’une minute à l’autre. Il fera de supers économies sur le budget maquillage.
N’ayant pas bu un seul mojito de l’été, je suis devenue sobre sans même le vouloir. C’est pas mal… Non j’vous jure, ne pas sortir de l’été quand tout le monde fait la fête, c’est reposant…

Je reviens pour la rentrée pas du tout stressée. Dutoutdutoutdutout… C’est pas comme si je retournais à la fac avec aucune idée sur la façon dont on compose une dissertation.

Bref. Comment se sont passées mes vacances ? Bien. Bienbienbien…
Le prochain qui me pose la question me doit un mojito.

Ceci est mon corps : le pouvoir des femmes (1)

Je tente, depuis cinq minutes, de trouver une entrée, et je pense à mes élèves qui me disent «j’ai l’idée, mais je ne sais pas comment commencer».
Il faut dire que, depuis le 24 juin, chacun y est allé de son post et de sa surprise, a ajouté sa pierre à l’édifice, et que j’arrive après la bataille. C’est voulu en quelques sortes, j’avais besoin de réfléchir à ce que j’allais dire si je le disais, et surtout, je ne voyais pas l’intérêt de hurler avec les loups que ce droit inaliénable de la femme et de son corps vient d’être bafoué dans un pays progressiste.

Je ne sais comment commencer… dans ces moments d’hésitation, je dis aux élèves de commencer par le début. En ce cas, je crois que le point de départ de ce premier post coïncide avec mon point d’arrivée : USA, Californie, juillet 2011.

A cette époque-là, je n’ai aucune conscience des troubles qui agitent déjà les états et la cour suprême. Pourquoi me serais-je souciée de ces questions si lointaines géographiquement ?
Moi, ce n’est pas pareil. Je suis enceinte, je suis française, et soyons clairs, je m’en contrefous.
Je garde donc l’image de l’avortement américain celle véhiculée par la télé : des illuminés isolés prêchant la bonne parole, l’œil vitreux, devant les centres d’avortement américains.

Mais être enceinte a là-bas m’a permis de comprendre une des valeurs fondamentales des Etats-Unis : c’est un pays qui se dit progressiste et qui ne l’est en fait pas du tout. Cela m’avait tellement sidérée à l’époque que, sous couvert de raconter l’émancipation d’une femme, j’avais profité de mon premier roman pour décrire un peu cette société américaine que l’on pense si ouverte et tolérante et qui est en réalité tout le contraire (La Théorie du corps)
Mais voulez-vous que je jette un pavé supplémentaire dans la mare ? Ce sont les femmes surtout, et leurs réactions, qui m’ont surprise.

Les femmes, puisqu’il s’agit d’elles, premières à revendiquer leurs droits, sont également souvent les premières à les bafouer. Ainsi de toutes ces femmes qui terminaient leurs études et qui, diplôme en poche et mari au bras, arrêtaient tout pour faire des enfants.
On peut soulever le prix exorbitant de toute bonne crèche aux Etats-Unis, prix qui en empêche beaucoup de reprendre le travail pour des raisons financières. Mais dans leur discours, beaucoup de femmes ne trouvent pas cette solution adaptée. J’ai moi-même été fustigée par plusieurs pour mon désir de retourner travailler. Combien de fois ai-je entendu que c’était irresponsable de ma part, que ma fille était plus en sécurité avec moi qu’avec des étrangers, que je ne serais jamais sûre qu’elle aurait tout ce dont elle avait besoin et, argument majeur, que j’allais la priver de ce lien unique que chaque mère se doit de développer avec ses enfants en bas âge. En faisant le choix de la laisser à la crèche, je la privais tout simplement de mon amour ; alors est-ce que je voulais vraiment que ma fille, à l’âge adulte, paye un psy pour parler de ses carences affectives parce qu’elle avait été à la crèche ?
Je me souviens de ces après-midis passées entre mamans, une en particulier, où toutes ces femmes jouaient littéralement à la poupée avec leurs nouveaux nés, les changer, les langer, les nourrir. Les enfants, sur-sollicités, pleuraient de fatigue, et chaque pleur était l’occasion d’une nouvelle séance de déshabillage, emmaillotage et mise au sein. Seule dans son coin, la mienne dormait d’un sommeil de plomb et tout le monde se demandait pourquoi je n’avais pas un geste pour elle. Je passais pour négligente tandis que je laissais ma fille dormir.
Ou de cette mère, enfermée dans sa voiture juste devant chez elle, moteur allumé et climatisation à fond, la tête posée sur le volant, qui attendait que sa fille ait fini sa sieste pour rentrer à la maison, afin de ne pas risquer de la réveiller.
Ou de ce groupe qui se délectait du samedi matin, apogée excitante de leur semaine : sortir au parc, «sans les hommes, juste entre nous, et les laisser boire des bières en regardant le match !»
A cette réflexion, mon ex-mari avait dit en rigolant qu’il préférait passer du temps au parc avec sa famille. Les autres femmes l’avaient regardé, sans trop savoir ce qu’elles devaient en penser. Existait-il donc vraiment sur cette planète des hommes qui aiment passer du temps en famille ? Etait-ce bien normal de voir un homme refuser l’invitation bière-foot ? Il était pas un peu gay mon mari pour dire une chose pareille ? osa me murmurer l’une d’elle avant de conclure «You should keep him !» Merci du conseil.

La société entière est un jeu de distribution des points par les pairs, et surtout par les femmes. Pour réussir, tu dois cocher les trois cases suivantes : le mari, la maison, les enfants. Si tu rajoutes le chien et la femme de ménage, t’as même droit à un bonus. Et lorsque tu as coché ces cases, fais tout ce qui est en ton pouvoir pour les conserver.
Ce sont les femmes qui jugent en premier de ta réussite, ce sont les femmes qui en premier reconnaitront ton succès. Ainsi, lorsque je suis retournée faire des études — enceinte du deuxième qui plus est — que j’ai lâchement abandonné ma fille à la crèche, que j’ai exprimé le désir de reprendre une vie de femme et non seulement de mère, une à une, l’une après l’autre, elles se sont détournées. De sacro-saint utérus ayant fait son œuvre, je devenais irresponsable et négligente marâtre.

Et les pro-life ? Je les ai vus. Les illuminés, parfois postés à un carrefour avec une pancarte mal peinte. Peu nombreux en réalité. Aussi nombreux que les manifestants anti-obamacare, postés aux même carrefours.

Mais je crois que ceci n’a pas été le pire de ce qu’il m’a été donné de voir là-bas.
Un soir, au club où j’allais danser, j’ai vu cette jeune fille de 13 ou 14 ans débarquer avec le fameux bébé en plastique et tout l’attirail de la mère qui va avec. Ainsi, c’était vrai. Ce n’était pas une lubie de quelque état conservateur qui vote républicain et bouffe du burger fraîchement tué. Non, ça fait partie du programme de SVT. En troisième, les enfants se voient confier une poupée électronique pour leur apprendre à être responsable. Et la jeune fille de trouver ça instructif, et les femmes autour d’applaudir et argumenter qu’au moins comme ça, ça évite certains accidents — comprendre grossesses non désirée et donc possible avortement.
Mais si tu veux éviter ces accidents et que ton gamin fasse un gosse, tu commences par lui parler de la sexualité, de la contraception, tu lui apprends comme le reste comment avoir une sexualité libérée et responsable. Tu lui colles pas un jouet dans les pattes pour le dégoûter de l’acte, sans aborder avec lui la question à mon sens plus épineuse des MST, en lui faisant comprendre que l’amour c’est cool quand on est marié et en argüant ta propre modernité «parce que les garçons participent».

Non ! Ce n’est pas moderne ! Ce n’est pas normal. C’est culpabilisant. Et contrairement à ce que nous pouvons penser, c’est une pensée généralisée.

En réalité, le problème des Etats-Unis n’est pas l’avortement en soi. Ça, c’est un problème qui résulte de la place de la sexualité dans une société fortement puritaine qui met les valeurs familiales au centre de sa vie professionnelle, politique et sociale. Il aiment l’idée de la famille parfaite et heureuse, et dans leur image d’Epinal, maman ne travaille pas, son brushing est nickel et sa maison toujours bien tenue. Combien de femmes ai-je rencontrées, qui culpabilisaient de travailler, laissant leurs enfants chez une nounou ?
Alors j’ai commencé à regarder d’un œil différent certaines séries que j’avais déjà vues. Toutes, même celles qui se disent sujettes à controverse abordent le problème de l’avortement avec des pincettes, voir ne l’abordent pas du tout, c’est plus simple. Ainsi, de Lynette Scavo (Desperate Housewife), qui se dit que quand même, deux gosses de plus ça fait beaucoup, qui se fait un peu sermonner par la gentille Susanne, et qui comprend à quel point elle avait envie de ces deux enfants supplémentaires lorsqu’elle perd l’un d’eux. Ainsi de Dayanara (Orange is the new black), qui même en prison et sans ressources, préfère piéger un homme qui n’est pas le père (mais on s’en fout c’est un salopard), plutôt que de mettre un terme à sa grossesse. Ainsi de Juno dans le film éponyme, qui raconte ni plus ni moins que le destin d’une adolescente enceinte, préférant accoucher sous X plutôt que de se faire avorter. Film moralisateur s’il en est, ayant à mon sens le but caché de dissuader toute jeune fille, encore une fois, d’avoir des relations sexuelles hors mariage.

Lorsque nous sommes arrivés au Texas, là, j’ai vraiment compris la portée des mesures contre les femmes. Peut-être que je m’y intéressais davantage, ou peut-être que l’Etat du Texas, à la différence de la Californie, ne se cache pas derrière un vote démocrate et une ouverture d’esprit un brin factice pour exprimer son opinion sur l’avortement et la place des femmes.
C’est ainsi qu’en voiture, en 2014 je crois, j’ai appris que Rick Perry, gouverneur du Texas donnait aux entreprises la possibilité de ne pas prendre en charge le remboursement de la pilule contraceptive, avant d’annoncer la fermeture de nouveaux centres de plannings familial (la cabale contre ces centres ayant commencé en 2012).

Arrêtons-nous ne serait-ce que sur ce point : concrètement, la sécurité sociale n’existe pas aux USA. Les mutuelles santé sont payées en grande partie par l’employeur. En se cachant derrière leurs convictions humaines et religieuses, les entreprises avaient donc la possibilité de refuser aux femmes ce choix strictement personnel et privé. En d’autres termes, vu le prix du moindre médicament, la machine pour les renvoyer à la maison était en marche.
Pour moi, cela a signé le début de notre retour en France. Aucun de mes enfants, mon fils ou ma fille (à plus forte raison), ne devait à mon sens être restreint dans ce choix, voir, pire, ne pas avoir le choix du tout.

Alors, surprenante la décision de la cour suprême ? Et bien non. Parce qu’en réalité, cette décision vient après un nombre incalculable de lois restreignant fortement l’accès à l’avortement, voir à la contraception, à des femmes qui, en grande majorité, sont imprégnées d’un schéma rétrograde qu’elles promeuvent avec fierté. Ignorantes et peu éduquées — surtout dans les classes sociales les plus pauvres, on le sait — les femmes n’ont aucune réelle idée des conséquences de la sexualité, ont envie d’essayer comme n’importe qui et n’ont aucun moyen de se prémunir ni d’une grossesse, ni d’une MST, ni d’une expérience qui tourne mal. Et ces femmes, puisque ceci est leur corps, choisissent aussi de ne pas avorter coûte que coûte, parce que l’avortement c’est mal. Ce n’est pas simplement un péché : elles sont américaines avant d’être presbytériennes. C’est mal.
Il y a sur cette question le poids plus que culpabilisateur de la totalité de la société, et il serait à mon sens réducteur de n’y voir qu’une démarche religieuse des pro-life.

Un dernier exemple avant de clôturer ce premier post sur la question : oui, car comme l’an dernier je vais faire une petite série sur le sujet. Pour une fois que ça m’aide d’avoir vécu là-bas…
Alors que je venais d’accoucher de mon fils, une amie m’appelle catastrophée. En pleine séparation avec le père sa fille, entre trois mojitos partagés avec lui et quelques besoins corporels bien naturels, elle tombe enceinte. Il n’a servi à rien de lui dire «your body, your choice». Elle me parlait de ses hésitations avec culpabilité par rapport à la vie qu’elle portait en elle, et avec peur. Peur que ce soit risqué, peur que cela se sache, peur qu’on la juge. La plupart des discussions que j’ai eues avec elle, ce n’était pas pour la rassurer sur le bien fondé de son choix, quel qu’il soit, mais pour la rassurer si possible, sur le poids de la société.
Vous vous en doutez, elle a gardé l’enfant, par peur qu’on la voie à un planning familial, que l’on jase, que le secret s’ébruite.

Créez un site Web ou un blog gratuitement sur WordPress.com.

Retour en haut ↑